L’écrivaine française d’origine égyptienne et libanaise, que certains élèves de première S et ES ont prise pour un homme, n’est pas seulement la mère de Louis Chedid et la grand-mère d’un certain -M-. Elle a écrit une œuvre considérable, faisant preuve d’un regard moderne sur le monde et la place de l’homme dans la nature.
«Ok donc c’est en sortant de l’épreuve que j’apprends qu’Andrée Chedid c’était une meuf». Sur Twitter, immédiatement après la fin de l’épreuve anticipée de français des filières ES et S en Métropole, des candidats paniqués avouent leur méprise. Le poème Destination: arbre, présent dans le corpus de textes à étudier, est l’œuvre d’une femme: Andrée Chedid. Motif de leur confusion, un prénom pouvant certes être masculin si on lui enlève son -e final, mais aussi l’absence de la poétesse du programme scolaire de littérature. Mais qui était donc Andrée Chedid?
Si le nom Chedid est évocateur pour les jeunes générations, c’est certainement pour le talent artistique apparemment génétique qui flotte dans la famille. Andrée Chedid est en effet la mère du chanteur Louis Chedid, et grand-mère de Matthieu, le fils de ce dernier, connu sous le nom de scène -M-. Andrée Chedid ne doit cependant pas être résumée à sa progéniture, étant à l’origine d’une œuvre considérable et internationalement reconnue.
Andrée Chedid, accompagnée de son petit-fils Matthieu et de son fils Louis, sur la scène du théâtre de Reims, le 10 décembre 2001. Crédit photo: AFP/François Nascimbeni
Née au Caire le 20 mars 1920, Andrée Saab se forme à l’université américaine de la ville en arabe, en anglais et en français. Très tôt, elle se consacre à la poésie et au roman. Après s’être mariée en 1942 à Louis Selim Chedid au Liban, elle part s’installer à Paris et acquiert la nationalité française. Dès lors, elle ne publie presque qu’en langue française. Des romans dans lesquels elle fait fleurir un imaginaire effarant, né de ses influences occidentales et orientales. Elle l’affirme dans Épreuves du poète: «Le poète / Enlace le mystère». «Revenir sur ma petite personne ne m’intéresse pas», disait-elle dans une interview sur France Culture.
L’Homme, la Terre, la Nature
Andrée Chedid préfère alors développer une ouverture au monde, la question de l’individu et sa place sur Terre, ses racines et son lien à la nature. C’est d’ailleurs cette dernière thématique (et les autres de façon plus générale) qui pave les vers de Destination: arbre. Cette place de l’humain dans le monde force Andrée Chedid à manifester un humanisme actif, la menant à dénoncer la violence et la guerre. Dans ses romans bien sûr, où elle impose à des personnages souvent féminins la vision de la multiplicité du monde et des visages qui le composent, comme dans Le Message. Mais aussi dans ses seize recueils de poèmes, témoins de sa sensibilité si moderne vis-à-vis de notre planète. Son œuvre poétique est réunie en deux volumes: Textes pour un poème (1949-1970) et Poèmes pour un texte (1970-1991).
Les écrits considérables et évocateurs d’Andrée Chedid en feront l’une des écrivaines les plus populaires de la deuxième moitié du XXe siècle. En 2002, elle devient la deuxième femme à obtenir le prix Goncourt de la poésie, récompense décernée à un auteur pour l’ensemble de son œuvre. Décédée en 2011, Andrée Chedid reste l’une des poétesses contemporaines les plus appréciées du public.
Les paroles de la chanson Je dis aime ont été écrites par Andrée Chedid pour son petit-fils -M-:
Avec un tel palmarès, on se demande comment elle a pu passer sous le radar des professeurs et de leurs élèves. La réponse est simple: elle n’est pas au programme. Les femmes en général ne sont (presque) pas au programme. Sur douze œuvres imposées à étudier pour le baccalauréat de français en première, filières générale et technologique, seules deux sont l’œuvre de femmes. Sur dix sessions du bac français pour les filières ES et S en France métropolitaine, entre 2009 et 2018, 31 textes de corpus étaient écrits par des hommes contre seulement trois par des femmes. Aux candidats au bac aujourd’hui découragés et demandant par pétition une meilleure notation, Andrée Chedid aurait probablement lancé cet encouragement, issu du poème Jeunesse: «Ne te défais pas à chaque ombre / Ne te courbe pas sous chaque fardeau / [...] Jeunesse entends-moi / Tu ne rêves pas en vain».